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Comprendre la différence entre l’incivilité et le harcèlement psychologique en milieu de travail

Au Québec, les employeurs doivent se soumettre à plusieurs obligations légales visant à protéger la santé et la sécurité physique et psychologique des travailleurs.  Il est en effet de l’obligation de l’employeur de maintenir un milieu de travail sain pour ses employés.  Pour ce faire, il importe de porter une attention particulière aux situations pouvant mettre en péril les relations harmonieuses entre les individus au travail et d’intervenir rapidement.

En effet, ne pas intervenir en présence de comportements irrespectueux, désagréables ou vexants pourrait mener à une éventuelle escalade de violence sur le lieu de travail.  Il existe d’ailleurs une mince ligne entre l’incivilité et le harcèlement psychologique et il est établi que certaines situations d’incivilité au travail peuvent devenir du harcèlement. Dans cet article, nous définirons en quoi consistent le harcèlement psychologique et l’incivilité en milieu de travail, nous présenterons les comportements et les conséquences qui y sont liés et nous aborderons les principales mesures de prévention et de prise en charge de ces situations.

Qu’est-ce que le harcèlement psychologique?

La Loi sur les normes du travail définit le harcèlement psychologique comme étant:

« Une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste. Une seule conduite vexatoire peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié. Pour plus de précision, le harcèlement psychologique comprend une telle conduite lorsqu’elle se manifeste par de telles paroles, de tels actes ou de tels gestes à caractère sexuel. Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié ».

Comment reconnaître le harcèlement psychologique

Afin de mieux distinguer ce que constitue le harcèlement au travail de ce qui ne l’est pas, voici quelques exemples de comportements de ce qui en constitue et de ce qui n’en constitue pas : 

Ce qui constitue du harcèlement Ce qui ne constitue pas du harcèlement
Cesser d’adresser la parole à une autre personne Gestion courante de la discipline, application des sanctions
Ignorer lors des réunions, critiquer régulièrement une autre personne ou sa façon de penser ou de s’exprimer Attribution des tâches
Insulter cette personne, au lieu de seulement débattre de ses idées Gestion du rendement au travail
Répandre des rumeurs au sujet d’une personne, la ridiculiser Gestion et suivi d’absences et de retards
Remettre en question les convictions d’une personne ou sa vie privée, se moquer de ses goûts, de ses points faibles Changement structurel ou technologique dans l’organisation
Discréditer une personne en lui attribuant des tâches inférieures à ce qu’elle a la capacité de faire Conflits de travail ou interpersonnels
Déshabiller du regard une autre personne, en regardant sa poitrine, ses fesses ou ses parties intimes Contraintes difficiles, mais raisonnables (ex: changements organisationnels, gestion des horaires)
Avoir des paroles ou poser des gestes déplacés et non souhaités (frôlements, trop grande proximité, blagues à connotation sexuelle) Licenciements, mises à pied et congédiements

Ainsi, dans la mesure où un employeur agit avec respect envers ses employés, que ses interventions sont axées sur les tâches à effectuer et non sur la personne, et qu’il n’exerce pas son droit de gestion de façon abusive ou discriminatoire, ses actions ne constituent pas du harcèlement psychologique. 

Les critères constitutifs du harcèlement psychologique

Par ailleurs, afin de déterminer la présence de harcèlement psychologique, la présence de cinq éléments cumulatifs mentionnés dans la définition doit être démontrée, soit  : 

  1. Une conduite vexatoire
  2. Qui se manifeste par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés
  3. Hostiles ou non désirés
  4. Qui porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique
  5. Qui entraîne pour l’employé un milieu de travail néfaste

De façon plus précise, voici ce qui permet de mieux les distinguer : 

  • Une conduite vexatoire

Dans le sens courant du terme, une « conduite » renvoie à une manière d’agir et se manifeste par des attitudes et des comportements objectifs, incluant des paroles, des actes ou des gestes.  La « conduite vexatoire » est plus subjective. Selon les dictionnaires courants, il s’agit d’une conduite qui entraîne des vexations, c’est-à-dire qui contrarie, maltraite, humilie ou blesse quelqu’un dans son amour-propre et qui cause des tourments.

  • Le caractère répétitif des comportements

Pour qu’il y ait harcèlement psychologique, les comportements, paroles, actes ou gestes vexatoires doivent être répétés, c’est-à-dire qu’ils doivent normalement se produire à plusieurs reprises, ce qui suggère l’idée d’un étalement dans le temps.

  • La nature hostile ou non désirée des comportements

La disposition législative prévoit ensuite que les comportements, paroles, gestes ou actes répétitifs qui sont visés, doivent être soit hostiles, soit non désirés. Un comportement hostile est celui de quelqu’un qui manifeste des intentions agressives, qui se conduit en ennemi, de façon belliqueuse, antagoniste, adverse, défavorable ou menaçante.

Quant au comportement non désiré, il s’agit d’un comportement qui n’a pas été recherché, voulu ou souhaité, ni explicitement ni implicitement.

  • Une atteinte à la dignité ou à l’intégrité du salarié

La conduite vexatoire résultant de la répétition de comportements hostiles ou non désirés doit entraîner deux conséquences précises pour constituer du harcèlement : il doit d’abord porter atteinte soit à la dignité, soit à l’intégrité physique ou psychologique du salarié et ensuite, entraîner pour ce dernier un milieu de travail néfaste.

  • Un milieu de travail néfaste

Il s’agit ici de la seconde conséquence préjudiciable rattachée au concept de harcèlement psychologique. Un milieu de travail néfaste pour un salarié est un milieu qui est nuisible et négatif, un environnement de travail psychologiquement défavorable. Un effet néfaste sur le milieu de travail est donc beaucoup plus large que la simple matérialisation d’un préjudice ou la perte d’une condition de travail qui existait avant la conduite vexatoire.

Différents types de harcèlement

Il est à noter que la définition du harcèlement psychologique comprise dans la Loi sur les normes du travail inclut le harcèlement sexuel et le harcèlement fondé sur l’un ou l’autre des motifs énumérés dans l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne : la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.

De plus, le 27 mars 2024, la sanction de la Loi visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail, a engendré la modification de plusieurs lois ainsi que de nombreuses modalités qui y sont prévues, visant à rehausser le niveau de protection des employés.  La Loi oblige maintenant l’employeur à prévenir ou faire cesser non seulement le harcèlement psychologique, mais également les situations de violence à caractère sexuel dès que de tels événements sont portés à son attention. La violence à caractère sexuel est définie comme suit : 

« toute forme de violence visant la sexualité ou toute autre inconduite se manifestant notamment par des gestes, des pratiques, des paroles, des comportements ou des attitudes à connotation sexuelle non désirés, qu’elles se produisent à une seule occasion ou de manière répétée, ce qui inclut la violence relative à la diversité sexuelle et de genre. »

De plus, l’employeur doit prévenir le harcèlement psychologique provenant de « toute personne », ce qui inclut maintenant, non seulement les employées et employés, mais également les tiers, notamment la clientèle, les entreprises en sous-traitance ou les fournisseurs.

Les conséquences du harcèlement psychologique

De façon générale, les conséquences du harcèlement se manifestent par la détérioration du climat de travail et de la performance et elles se produisent à plusieurs niveaux, soit chez les victimes, les témoins, les auteurs, et ce, tout autant sur le plan individuel qu’organisationnel.  

Parmi celles-ci, pour les victimes, les risques de souffrir de dépression, de détresse psychologique, de troubles du sommeil, d’idées suicidaires sont largement augmentés.  Les conséquences professionnelles sont également présentes, puisque nous assistons à une augmentation de l’absentéisme pour cause de maladie ainsi qu’à un risque accru de quitter ou d’avoir l’intention de quitter l’organisation.  

Concernant les conséquences organisationnelles, le harcèlement affecte les organisations par une perte de productivité, des couts financiers, un risque lié à sa réputation, etc. 

Qu’est-ce que l’incivilité en milieu de travail?

Maintenant que la compréhension du harcèlement au travail est approfondie, explorons l’incivilité en milieu de travail.  En effet, il convient d’y porter une attention particulière, puisque l’incivilité est un signe avant-coureur de problématiques plus graves, tel que le harcèlement et la violence.  Elle s’inscrit dans un continuum pouvant mener au harcèlement et aux violences en milieu de travail. 

Bien que l’incivilité en milieu de travail soit un concept quelque peu ambigu et nuancé, selon Gilles Demers, chef de pratique, climat, harcèlement et civilité chez Dolmen Capital humain, elle peut se définir comme suit : 

 « une conduite, qui sans être grave ou sévère, enfreint néanmoins les règles élémentaires de vie en société et crée des inconforts importants dans le milieu du travail ».  Il s’agit, de façon générale, de toute démonstration de non-respect envers autrui dans l’organisation.  

L’incivilité au travail peut souvent être de faible intensité, ce qui la rend difficile à détecter.  De plus, nous assistons à des différences culturelles et intergénérationnelles quant à l’identification de ce qui est civil ou ce qui ne l’est pas. En effet, il y a une évolution des comportements en matière de convenances et de normes sociales, ce qui implique que les employés sont de plus en plus différents en raison de leurs besoins, leurs valeurs, leurs codes culturels ou comportementaux. Ainsi, ce qui constitue une incivilité pour un, n’en constitue pas nécessairement pour l’autre. 

Quelques exemples de manifestations d’incivilité

Comment pouvons-nous nous y retrouver dans l’identification des comportements incivils ? Une conduite incivile résulte généralement d’un manquement ou d’une atteinte à l’une ou plusieurs des dimensions suivantes :

  • Le respect d’autrui
  • La communication interpersonnelle
  • L’ouverture aux autres
  • La collaboration

Dans le tableau ci-dessous, vous retrouverez des exemples de comportements associés à chacune de ces dimensions :

La communication Le respect
Parler avec agressivité: ton élevé, crier, etc. Agir de façon condescendante ou arrogante
Critiquer et faire des remarques, insulter Faire du sarcasme, de l’humour déplacé
Communiquer la mauvaise information dans le but de nuire Juger et émettre des sous-entendus
Interrompre une personne/une conversation Lancer ou alimenter des rumeurs
Envoyer un courriel irrespectueux Manquer de savoir-vivre
Ne pas retourner un courriel ou un appel Parler dans le dos d’une personne

 

La collaboration L’ouverture
Se montrer indisponible pour ses collègues Ne pas écouter les autres
S’attribuer la réalisation d’un travail d’un autre Ne pas saluer, ignorer une personne
Créer ou alimenter un clan Entretenir des préjugés
S’isoler ou exclure/ignorer une personne Ne pas considérer les idées des autres

Les conséquences associées à l’incivilité

Les impacts associés à l’incivilité sont considérables et multiples : climat de travail malsain, augmentation de la détresse psychologique ou du stress, diminution de l’engagement, diminution de la productivité, augmentation de l’absentéisme et des intentions de quitter, diminution de la confiance envers la gestion, diminution de la satisfaction au travail, diminution de la motivation, diminution de la coopération, etc. De plus, les conséquences ne sont pas limitées aux victimes ou aux personnes impliquées. En effet, celles-ci pourraient le communiquer à leurs collègues, leur famille, leurs amis, mais également les clients, les fournisseurs, etc., ce qui aura sans doute un impact négatif sur l’organisation.

Différences clés entre l’incivilité et le harcèlement

Nous pouvons donc constater qu’il existe des différences fondamentales entre l’incivilité et le harcèlement en milieu de travail.  En résumé, nous pouvons placer ces concepts sur un continuum de comportement.  En effet, l’incivilité est souvent un signe avant-coureur et elle peut mener à des violences ou du harcèlement. Par ailleurs, de façon simplifiée, nous pouvons constater que plus l’intention de blesser l’autre est claire, plus l’intensité du comportement déviant augmente et plus nous assistons à une répétition des conduites, plus on se dirige vers le harcèlement.

Comment instaurer des mesures de prévention?

Il convient d’assurer la prise en charge de toutes situations qui peut mettre en péril le maintien d’un milieu de travail sain avec des relations harmonieuses.  Plusieurs organisations agissent uniquement lorsqu’une crise a éclaté et que les seules modalités d’intervention possibles sont l’enquête ou la médiation. Il s’avère toutefois nécessaire de mettre en place des mesures préventives liées d’abord à la civilité en milieu de travail.  Parmi celles-ci, on peut citer :

  • Partager des attentes claires au niveau des comportements attendus et ceux qui sont inacceptables;
  • L’instauration, en collaboration avec les employés, d’un code de conduite qui décrit les valeurs, les comportements et les attitudes à respecter dans le cadre de leurs activités;
  • Sensibiliser les employés à leur responsabilité individuelle dans le maintien d’un climat de travail sain. Insister sur l’importance du respect entre les personnes;
  • Détecter les facteurs de risque : garder l’œil ouvert aux petits incidents du quotidien. La meilleure approche pour assurer un environnement de travail sain et productif est de prévenir les conflits dans les organisations;
  • Être attentif aux tensions entre les personnes.

En bref, il s’agit de générer une culture de civilité. La civilité est une compétence qui peut être développée chez les travailleurs. On peut donc également offrir de la formation sur les comportements civils, les habiletés sociales de base, la communication et la gestion des conflits. L’objectif est de comprendre que c’est la responsabilité de tous de maintenir une culture organisationnelle saine dans laquelle les relations sont harmonieuses et empreintes de respect.

Quelles sont les obligations de l’employeur?

Bien qu’un ensemble d’initiatives de prévention aient été mises en œuvre par l’organisation, il se peut qu’une situation menant à des allégations de harcèlement se produise dans l’organisation et il convient donc de bien connaître ses obligations. À cet effet, l’employeur a l’obligation de prendre les moyens appropriés afin de prévenir le harcèlement et de mettre fin aux situations problématiques portées à son attention.   Il doit notamment informer les employés, identifier les comportements à risque qui pourraient mener à du harcèlement et mettre en place une politique de prévention du harcèlement et de traitement des plaintes

De plus, à compter du 27 septembre 2024, tout employeur a l’obligation d’adopter et de rendre disponible au sein de son entreprise une politique de prévention et de prise en charge des situations de harcèlement psychologique, qui inclura notamment un volet lié aux conduites en matière de violence à caractère sexuel.  

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En conclusion, il est de l’obligation de l’employeur d’établir et de maintenir un milieu de travail sain pour ses employés. Nous rappelons donc l’importance pour l’organisation d’intervenir et d’agir lorsqu’une situation problématique liée à l’incivilité ou au harcèlement en milieu de travail est portée à sa connaissance et il importe également de veiller au développement des compétences des gestionnaires quant à la gestion de ces situations. 

Comme la gestion d’un comportement incivil ou d’une plainte de harcèlement peut être complexe et comporte des enjeux légaux, il est également conseillé de se faire accompagner par des ressources externes spécialisées en gestion des ressources humaines ou en droit du travail afin de minimiser les risques de litiges qui y sont associées. 

Joannie Vallières, M. Sc. Médiatrice accréditée (UdeS/IMAQ), consultante en ressources humaines et développement organisationnel